TABAC - Alors que le peuple votera en février sur la fumée passive, l’économiste Pascal Diethelm revient sur l’affaire Rylander
N’est-il pas ironique que l’Université, qui n’a jamais blâmé Rylander, vous honore aujourd’hui?
C’est l’aboutissement d’un long processus. Il y a toujours eu un déchirement au sein de l’Université. Finalement, la défense de l’intégrité de la science l’a emporté.
Découvrir ce scandale vous a pris des mois entiers.
Je travaillais pour l’OMS. En 1998, l’industrie du tabac s’est engagée à publier ses archives sur Internet. Lors d’une conférence à Atlanta en 1999, j’ai pris l’engagement de m’intéresser à ce qui concernait la Suisse. Mon idée était que l’industrie se replierait sur les pays lui offrant un sanctuaire. La Suisse en était un tout désigné, par son culte du secret, sa législation favorable à l’industrie, les pénalités dérisoires infligées en cas de procès, etc.
Pensiez-vous, en 1999, « trouver » quelque chose?
Dès cette époque, c’était mon souci. Le nom de Rylander est apparu en 2000, comme l’organisateur de symposiums exonérant totalement la fumée passive.
Depuis vingt ans on savait qu’elle était dangereuse. Là, des scientifiques affirmaient le contraire. Le doute est réapparu. J’ai alors compris que Rylander était un personnage clé chez Philip Morris.
En quel sens?
J’y ai passé des nuits entières. J’ai trouvé dans les archives des copies de chèques versés sur son compte privé, des listings montrant qu’il avait reçu un demi-million de dollars en trois ans. Consultant de Philip Morris, il touchait un forfait de 100'000 dollars, quoi qu’il fasse. Rylander était le principal penseur des stratégies de déni. Dès les années 70, il dirigeait en secret les recherches d’un laboratoire allemand. Il était la personne la mieux informée du monde sur les dangers de la fumée passive. Et il les niait en public.
Vous dénoncez les faits en 2001. Cela vous vaut une poursuite et une condamnation pour diffamation. Vous y attendiez-vous?
Non, nous avions une grande confiance en nous car tout ce que nous disions était étayé par des preuves. La première condamnation nous a mis K. -O. debout. C’était très frustrant. Et puis il y avait tout un aspect subjectif: nous étions vus comme des agités, des fauteurs de troubles. Une image d’extrémistes nous collait à la peau. La partie adverse nous disait « assoiffés de publicité personnelle ».
Finalement, vous gagnez en décembre 2003.
Ce fut une grande victoire. Nous avons toujours su qu’il fallait du temps pour que la prise de conscience se fasse. Nous ne voulions pas d’un jugement rapide, qui aurait tué l’affaire dans l’œuf.
Vous critiquez vertement l’attitude de la Suisse face au tabac.
A l’heure où la communauté internationale se mobilise contre le tabac, la Suisse lui ouvre largement les portes. Ça me rappelle étrangement l’époque de l’apartheid. Alors que le monde entier se mobilisait pour boycotter le régime de Pretoria, la Suisse intensifiait ses échanges avec lui. Ce pays essaie d’avoir une prime à la non-solidarité avec le reste du monde. On retrouve là d’anciens démons suisses...
Sophie Davaris
(Dossier 07-005 - 2007-12-11)